Luxembourg
16, boulevard Royal – L-2449 Luxembourg
 
Lundi au vendredi
8h00 à 17h00

Ces derniers mois, j'ai assisté à Tokyo à deux conférences me permettant de rencontrer certaines des entreprises japonaises détenues dans nos fonds. Ces conférences représentaient une occasion unique de rencontrer les dirigeants de ces sociétés, d'évoquer leur activité et discuter de l'état actuel de leurs affaires.

Ces déplacements m'ont également permis d'avoir un aperçu de la vie quotidienne dans la plus grande zone métropolitaine du monde. J'ai visité les enseignes des détaillants figurant dans nos fonds et découvert certains produits que je n'avais vus jusque là qu'en photo ou dont je ne connaissais que la description publiée dans les rapports annuels. Dans les lignes qui suivent, je livre quelques-unes de mes impressions de ce voyage, ainsi que mes réflexions sur quelques entreprises japonaises que nous détenons en portefeuille.

Les décennies perdues

En arrivant à Tokyo, le visiteur ne peut qu'être impressionné par cette vibrante cité moderne. Cela commence par un trajet confortable en train rapide entre l'aéroport de Narita et la gare de Tokyo. Ce trajet donne une première impression du niveau de développement très avancé et de la qualité des infrastructures au Japon. Cette impression sera confirmée au moment de prendre le métro, particulièrement efficace, dont les rames, rarement en retard et aux horaires très serrés, transportent près de 10 millions d'usagers par jour. En ville,l'architecture moderne et le design sont omniprésents. Dans le quartier de Ginza se dressent des grands magasins spectaculaires, tandis que le long de la fameuse rue Omotesando s'alignent les boutiques des plus grands créateurs de mode de la planète. Les quartiers de Shibuya et d'Harajuku attirent des foules de jeunes consommateurs à la recherche de la dernière tendance, tandis qu'Akihabara, le paradis des amateurs d'électronique, illumine la nuit de ses néons et autres écrans publicitaires animés. 

 
Boutiques électroniques à kihabara


Près de ces prestigieux quartiers commerçants se trouvent des zones calmes dotées de restaurants douillets, d'échoppes indépendantes originales, de larges parcs et aires de loisirs et de bâtiments historiques remarquables, tels que des temples ou le palais impérial. Meiji Jingu par exemple, sanctuaire shintoïste niché dans une forêt de 70 hectares au cœur de Tokyo, offre un spectacle époustouflant. Le sanctuaire et le parc adjacent m'ont semblé une oasis de calme entre les deux trépidants quartiers commerçants et d'affaires que sont Shibuya et Shinjuku. Tokyo est aussi souvent présentée comme l'une des villes les plus sûres du monde, et la deuxième ville d'Asie la plus agréable à vivre (derrière Osaka, située elle aussi au Japon), d'après le classement récemment établi par Economist Intelligence Unit (EIU).

Même si Tokyo n'est peut-être pas représentative de l'ensemble du Japon, il est difficile d'imaginer qu'elle est la capitale du pays qui a connu deux « décennies perdues » avec une stagnation de sa croissance économique, des périodes de déflation récurrentes et une envolée de sa dette publique. Il y a un an, le New York Times publiait un intéressant article qui mettait l'accent sur cette contradiction et démontrait qu'à bien des égards l'économie japonaise avait enregistré de bons résultats au cours des vingt dernières années et que « malgré les nombreux revers économiques, le sort de ses citoyens était peut-être plus enviable que celui des habitants de beaucoup d'autres pays développés. Cet article, intitulé "The myth of Japan's failure"mérite indéniablement d'être lu.

 
Sanctuaire Meiji Jingu 


Cette vision plus positive de la situation actuelle du Japon ne saurait toutefois occulter les défis significatifs que devra relever le pays à l'avenir. L'absence de croissance économique, le niveau élevé de la dette publique, la pression déflationniste que le gouvernement désespère de vaincre et la situation démographique défavorable d'une population vieillissante font partie des plus grandes difficultés que devra surmonter le Japon. Il convient toutefois de ne pas oublier que nombre d'économies développées, surtout en Europe, pourraient se heurter aux mêmes défis au cours des prochaines années.

Les perspectives économiques et comment les interpréter

Que conclure de ces réflexions et perspectives pour nos investissements en actions japonaises ? Pour faire court, on pourrait probablement répondre « pas grand-chose » ! Notre approche de gestion dans nos fonds actions géographiques tel que le fonds BL-Equities Japan ne se base en pas sur des réflexions macroéconomiques.

En effet,
  •  J'ignore si le nouveau gouvernement du Premier ministre Shinzo Abe réussira à relancer l'économie, à éradiquer la déflation et à renouer avec la croissance, ou si la politique monétaire expansionniste du pays va hypothéquer son avenir, en sachant que la dette publique est d'ores et déjà très élevée.
  • Je ne peux estimer dans quelle mesure l'inflation profitera aux entreprises exposées à la consommation intérieure, ni qui pourrait bénéficier d'une hausse de la consommation ou qui subirait une pression sur ses charges du fait de l'augmentation des salaires et des coûts de production.
  • Je ne peux apprécier si les mesures drastiques pour mettre fin au yen fort seront couronnées de succès, ni dans quelle mesure les entreprises exportatrices pourront pleinement en tirer profit, puisque la montée des coûts de production et la pression sur les prix de la part de certains de leurs clients risquent d'amoindrir une partie des gains potentiels.
  • Enfin, le rôle exact du grave déséquilibre des générations pour l'avenir reste inconnu, dans un pays vieillissant, dont les personnes âgées détiennent l'essentiel des richesses, tandis que l'avenir financier des jeunes générations est loin d'être assuré.

Au final, ma tâche en tant que gérant consiste à découvrir des idées d'investissement attrayants sans prêter trop attention au brouhaha du moment, en recherchant des entreprises rentables qui ont le potentiel de faire croître leur activité dans le temps, sans dépendre excessivement de l'actualité économique et sociopolitique.

Alors, où trouver de telles entreprises dans un pays pour ainsi dire au point mort depuis plus de vingt anset dont la démographie n'augure rien de bon non plus en termes de croissance future ? Un pays dont l'économie en pleine expansion des années 1980 a permis au secteur privé d'accumuler des quantités de capital considérables, mais où les bonnes occasions de placement pour les fonds ainsi amassés sont rares. En examinant les sociétés une à une, on est souvent surpris par les énormes liquidités détenues sur les bilans, et choqué par la faible rentabilité des investissements de la plupart des entreprises concernées. Sur la plupart des segments du marché, les entreprises se différencient peu les unes des autres et il existe beaucoup trop de capital disponible pour des occasions de placement bien trop réduites, ce qui se traduit par un rendement sur capitaux investis structurellement faible. En conséquence, identifier des supports d'investissement potentiels fondamentalement attrayants à long terme n'est pas évident.

Les « champions cachés » du Japon

S'il est un domaine dans lequel le Japon a toujours excellé, ce sont bien les technologies dites « industrielles ». Au sens le plus large, ce terme désigne une branche de l'industrie qui conçoit des techniques permettant l'automatisation des procédés industriels permettant une production plus rapide, plus précise et plus efficiente. Dans ce vaste champ de l'automatisation industrielle, les entreprises japonaises occupent fréquemment de petites niches d'applications techniques spécialisées et continuent à développer des technologies de pointe qui leur permettent de distancer leurs concurrentes de Chine ou des autres pays émergents.

Keyence – Capteurs de haute précision

Parmi de telles entreprises figure Keyence, un producteur majeur de capteurs et d'instruments de mesure pour l'automatisation des usines. Keyence fait partie des entreprises industrielles les plus innovantes et les plus rentables du monde. Son argument de vente décisif repose sur la qualité de ses produits, sur sa réactivité à la demande de ses clients et sur sa capacité d'innovation. Chaque année, entre 20 et 30 % de son chiffre d'affaires sont réalisés par de « nouveaux » produits (c'est-à-dire lancés depuis deux ans au maximum). Les salaires de Keyence font partie des plus élevés du Japon, ce qui lui permet d'attirer et de conserver les meilleurs ingénieurs du pays.

Fanuc – Champion de la robotique

Un autre exemple d'entreprise appartenant à cette catégorie serait Fanuc, un poids lourd japonais de la production de machines industrielles pour l'automatisation des systèmes de fabrication. Fanuc est ainsi lepremier producteur de robots industriels et de systèmes de commande numérique CNC. Les systèmes de commande numérique de Fanuc, qui pilotent les fonctions d'une machine automatisée, sont devenus en quelque sorte une norme mondiale, grâce à laquelle la société s'est approprié 60 % de part de marché. Cette part de marché dominante témoigne de l'avantage compétitif de Fanuc en termes de savoir-faire technologique, de réseau de distribution et de coûts de production.


Robots industriels dans la production automobile


La demande d'automatisation industrielle ne cesse de s'accélérer. Des entreprises comme Fanuc ou Keyence sont notamment bien placées pour tirer profit de l'automatisation des usines chinoises, où la hausse des coûts de la main-d'œuvre et le souci croissant de l'efficience poussent les producteurs à automatiser leurs processus de fabrication. Apple constitue un bon exemple à cet égard, puisque le groupe américain a fortement accru ses investissements dans l'automatisation de ses usines ces dernières années, pour devenir l'un des premiers acheteurs des robots et des « Robomachines » de Fanuc. Ces équipements seront installés dans les usines du principal sous-traitant d'Apple, Foxconn, et servent notamment à découper des boîtiers de métal pour les appareils électroniques tels que l'iPhone ou l'iPad

Les entreprises du secteur de l'automatisation des usines ne sont pas les seules sociétés japonaises à bénéficier de la croissance des smartphones et des tablettes. Bien que des géants japonais bien connus de l'électronique comme Sony, Panasonic ou Sharp aient laissé passé le train et luttent aujourd'hui pour maintenir leurs bénéfices, des acteurs plus petits occupent encore des niches fort intéressantes en tant que fournisseurs principaux de composants à forte valeur ajoutée pour les smartphones et les tablettes. Une étude récente constatait ainsi que plus de la moitié des composants de l'iPhone 5 étaient fabriqués par des entreprises japonaises.

Murata Manufacturing – Le géant de la miniaturisation

Murata Manufacturing, fabricant d'envergure mondiale de composants électroniques à base de céramique, fait partie des sociétés qui se distinguent dans ce domaine. Les composants produits, généralement en céramique – une spécialité de Murata depuis sa fondation – servent à toutes sortes de dispositifs mobiles, tels que les ordinateurs, les téléphones mobiles et les airabgs dans l'automobile, ou encore l'équipement médical. L'entreprise détient des parts de marché significatives pour les condensateurs céramique multicouches à puce, ainsi que dans certains composants utilisés dans les télécommunications sans fil, et approvisionne Apple en modules de ces deux catégories pour son iPhone5. En septembre 2012, la société a annoncé qu'elle avait mis au point le plus petit condensateur céramique monolithique du monde, d'une taille de 0,25 sur 0,125 mm!

Nitto Denko – Des compétences qui s'affichent

Nitto Denko est lui aussi un fournisseur majeur de l'industrie des dispositifs mobiles. Il fait partie desprincipaux producteurs mondiaux d'adhésifs et de films de revêtement et compte plus de vingt produits avec une parts de marché dominante, notamment dans les films optiques pour les écrans à cristaux liquides. La société dispose d'un avantage compétitif dans la production de films conducteurs transparents utilisés pour fabriquer les écrans tactiles. Bien que des équipementiers comme Apple ou Samsung ne divulguent pas l'identité de leurs fournisseurs, on peut supposer que la quasi-totalité des fabricants de tablettes et de smartphones du monde utilisent les produits de Nitto Denko.

Toutes les sociétés mentionnées ci-dessus peuvent être caractérisées d'entreprises positionnées à l'export. La majeure partie de leur chiffre d'affaires est liée à la demande mondiale, et non à la consommation domestique. Par le passé, ces entreprises ont dû s'adapter à un environnement particulièrement compétitif, face à la menace des pays asiatiques à bas coûts. Elles ont dû non seulement défendre leur avance technologique, mais également améliorer leur efficience et leur productivité pour compenser les effets négatifs d'un coût de production plus élevé et d'une monnaie très forte.

Steve Glod, Equity Fund Manager

Steve est arrivé en 2001 à la Banque dans le département d'Analyse Financière et de Gestion de Patrimoine. Depuis 2011, il est responsable de la gestion des investissements en actions japonaises pour les fonds de la Banque. Entre 2005 et 2010, il était co-responsable des investissements en actions américaines des fonds d'investissement de la Banque. Steve est Ingénieur en mécanique EPF, spécialisé en Sciences Commerciales. Il est également Docteur en Sciences Techniques de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich. En 2002, il a réussi les examens du CEFA (Certified EFFAS Financial Analyst).

Suivez-moi sur LinkedIn

Abonnez-vous
à notre newsletter
E-Mail